domingo, 26 de março de 2017

Les prostituées et la langue "mal tournée"

Non, «courtier» ou «business», ne sont pas des termes d’économie. Ce sont des mots du «joli monde», celui de la prostitution. Un dictionnaire spécialisé –Du Couvent au Bordel– inventorie ce que la langue français doit aux gagneuses et à leurs macs.

Fille de bordel, photo XIXe siècle. 
Écrit par Agnès Giard 
Dans le milieu de la prostitution les mots pour le dire foisonnent en un jargon inépuisable de termes, tous plus insolites les uns que les autres, qui ne cessent d’évoluer depuis le XVIe siècle. Sensible à cette pléthore lexicale, Claudine Brécourt-Villars –spécialiste de la littérature et des idées de la fin du XIXe siècle et du début du XXe– énumère dans un livre-objet à la facture précieuse les termes les plus imagés. On y apprend notamment que le mot bizness «anglicisme introduit en France au milieu du XIXe siècle par les pickpockets anglais», est rapidement attesté (dès 1895) au sens de «travail de la prostituée». Les businessmen peuvent donc en rabattre : leur métier à l’origine ne consiste guère qu’à vider des bourses trop pleines. Et que dire des courtiers ? Leur nom qui vient du néerlandais makelare («intermédiaire»), lui-même dérivé de makein («trafiquer») a donné… «maquereau, l’homme qui vit de la prostitution des filles». Voilà qui n’est pas vraiment glorieux. Claudine Brécourt-Villars rajoute avec un brin d’humour : «Au fil des temps, maquereau a fini par être confondu avec le nom donné au poisson de mer, dont le dos tacheté de vert et de bleu évoque les costumes voyants et les bijoux clinquants portés par les proxénètes à la fin du XIXe siècle».
Cave, catin, bocard, boxon ou boulangère…
Dans Du Couvent au bordel, dictionnaire fabriqué avec un soin particulier (grammage, typo, encollage), au titre imprimé en forme de calligramme érotique, la chercheuse livre sa moisson de mots. Milord, mondaine, montretout, musardine, pierreuse, poniffe, Prosper, putanisme… Chaque locution est accompagnée de citations truculentes. On les fait rouler sous la langue avec le même plaisir qu’on se prend à caresser la couverture couleur chair de l’ouvrage : c’est littéralement un livre à textures et à confiture. Un régal, donc, et l’occasion d’apprendre que le mot «salope», par exemple, dérive peut-être d’un nom d’oiseau, tout comme «grue», «cocotte», «poule» ou «chouette»… «Salope. Appellation dénigrante d’origine obscure, peut-être composée de sale et de hoppe, dérivé de huppe, oiseau réputé pour sa saleté, attestée en 1775 au sens de femme malpropre. Par glissement sémantique, […] femme aux moeurs dissolues».
Des termes souvent péjoratifs
Bien qu’elle apprécie la verdeur de ces mots, la chercheuse note, avec amertume, que «les marchandes d’amour sont stigmatisées», y compris par leurs propres clients. Comparées aux volatiles de basse-cour, aux batraciens, voire aux larves d’insectes, les prostituées portent des noms qui les avilissent. «“Araignées de luxure” ou “de pissotière” offrent la parfaite représentation du rejet que suscitent ces filles, considérées comme avilissantes. S’ajoutent à ce florilège “chienne”, “guenon”, “truie”, femelles” réputées pour leur lascivité» sans oublier «morue» bien sûr (à cause de l’odeur), quand ce n’est pas un nom de maladie («vérole») ou d’instrument de cuisine (par allusion au fait qu’elles font bouillir la «marmite» ou chauffer la «casserole» du souteneur). Tout cela n’est guère flatteur.
Féminisme avorté sous la Révolution
Ces mots, souvent insultants, en disent long sur «la condition des prostituées dans la société française et, inévitablement, sur celle des femmes». Il n’est d’ailleurs pas innocent que durant la Révolution française, les filles publiques aient multiplié les doléances, dans l’espoir que leurs droits soient enfin reconnus et qu’en réponse à leurs tentatives des fins esprits se soient moqués d’elles, en les ramenant à ce qu’elles étaient : «garces, putains, toupies, maquerelles, etc». Il n’y a pas de plus sûr moyen, pour mâter les femmes qui réclament l’égalité que de leur dire tout cru quels termes injurieux les désignent. Une des publications les plus célèbres du genre date de 1790. Elle est publiée chez un éditeur fictif : la «Société philantropine», située «rue Tiron». La brochure s’intitule : Réclamation des courtisanes parisiennes adressée à l’Assemblée nationale. Claudine Brécourt-Villars en cite un extrait savoureux dans son dictionnaire.
Réclamation des courtisanes adressée à l’Assemblée Nationale
Il s’agit d’un pastiche bien sûr. Cette «facétie» (selon les mots de Gaston Capon, auteur des Maisons closes au XVIIIe siècle) repose sur une fiction. La fiction est la suivante : au moment de l’abolition des titres nobiliaires, les filles publiques de Paris réclament l’abolition des vilains mots qui servent à les désigner, qu’elles nomment des «titres déshonorants». Elles se réunissent donc en Assemblée de femmes (toutes de la même profession), «pour concerter les moyens les plus prompts et les plus sûrs de réprimer, dans notre langue, tout ce qui porte atteinte à la bienséance et au maintien de l’honneur». Leur but : «réclamer l’abolition de ces termes impropres, qui compromettent à la fois la délicatesse des deux sexes». Elles élisent tout d’abord leur présidente : le vote désigne «Mademoiselle Testard» présentée comme une «marchande […] familiarisée depuis longtemps avec tous les membres du corps législatif»… Que faut-il comprendre par là ?
Comment faire quand on n’a pas de C** au C** ?
Une note en bas de page fournit l’explication suivante : «Instruite sans doute du mot de Piron à Madame de** que POUR FAIRE DES VERS IL FALLAIT DES COUILLES AU CUL, Mademoiselle Testard a présumé qu’il en fallait autant pour faire de bonne prose. Delà, ses assiduités auprès des Représentants de la Nation, et parmi les douze cents dont elle peut se flatter de connaître à fond les deux tiers, aucun n’a démenti l’opinion qu’elle en avait conçu». Traduction : à défaut d’avoir des attributs virils, Mademoiselle Testard se débrouilla pour les approcher de si près que les couilles de douze cents membres de l’Assemblée lui imprimèrent par derrière la force nécessaire à la rédaction en prose de ce discours. Et quel discours !
Interdire l’usage des «épithètes dégoutantes»
Ce Discours –totalement fictif bien sûr– dénonce avec inspiration «ces propos indécents, dont l’éjaculation incendiaire expose à tout moment le nom […] des courtisanes parisiennes». Mademoiselle Testard suggère une réforme : il faut désormais que soient interdites non seulement les appellations dégradantes de la Corporation mais les «épithètes dégoutantes dont nous sommes si souvent les victimes, malgré nos complaisances». Mademoiselle Testard demande alors à ses consoeurs de l’aider à dresser la «liste abhorrée» des mots à interdire. Elle propose que cette liste soit remise à l’Assemblée Nationale et qu’un décret sanctionne juridiquement leur utilisation… C’est alors qu’une autre femme, Madame André, intervient.
«“Conasse” est le premier mot que j’offre à votre indignation»
Madame André n’y va pas par quatre chemins : «Mesdames, dit-elle, “Conasse” est le premier mot que j’offre à votre indignation. […] Il nous est adapté sans cesse par des milliers de Petits-maîtres impuissants qui ne devraient trouver dans notre grandeur que le reproche de leur petitesse». L’argument est si bien tourné qu’on croirait presque, à le lire, qu’il s’agit d’un authentique. Une véritable féministe n’aurait pas formulé la chose autrement. Hélas, l’esprit «facétieux» qui a composé la brochure imagine qu’une prostituée (Manon St Pré) interrompt vivement l’allocution de Madame André en criant : «Et foutre Mesdames, pourquoi voulez-vous interdire ce faible moyen de vengeance aux malheureux individus que le Ciel a privé de ses faveurs». Ce qui met fin au récit. La brochure s’achève, laissant le lecteur à mi-chemin entre la sympathie pour les prostituées et le désir de protéger ces mots qui, malgré tout, ont une raison d’être. Une mauvaise raison, certainement, mais… aucune censure jamais n’abolira le bazar.


[ Photo : https://lacuisinedu19siecle.wordpress.com/la-cuisine-aphrodisiaque-a-la-belle-epoque/ - source sexes.blogs.liberation.fr]

Sem comentários:

Enviar um comentário